Thursday, February 21, 2008

Qui sont les terroristes ?

La plupart des idées couramment exprimées concernant les terroristes et les raisons pour lesquelles ils veulent nous détruire, reposent sur des conceptions erronées et alimentent la désinformation. Beaucoup d’hommes politiques et d’observateurs de ces questions ont soutenu que la pauvreté et le manque de formation de populations démunies sont à la source du terrorisme, en dépit de toutes les données disponibles qui montrent que la plupart des terroristes sont issus de la classe moyenne et ont souvent des diplômes de l’enseignement supérieur. Dans ce petit livre à la fois très riche, argumenté, et étayé par des données quantitatives très révélatrices, Alan B. Krueger, professeur d’économie et de politiques publiques à Princeton soutient que si nous voulons réussir à diagnostiquer les causes du terrorisme et à mettre en place des ripostes efficaces nous devons penser le problème en empruntant le raisonnement des économistes.

Spécialiste des questions sociales controversées, comme par exemple les effets du salaire minimum et de l’éducation sur le crimes « de haine », l’auteur examine les facteurs qui poussent certains individus à se lancer dans une action terroriste, en s’appuyant sur l’analyse des caractéristiques personnelles et sociales des terroristes ainsi que des conditions économiques, sociales et politiques des sociétés dont ils sont originaires. Il recense les pays dont viennent le plus fréquemment les terroristes, et ceux qui ont la plus forte probabilité de devenir leur cible. En passant en revue les conséquences économiques et psychologiques du terrorisme il contribue à mettre en perspective le phénomène, et son impact le plus souvent limité sur nos sociétés. Son analyse économique des conditions spécifiques qui favorisent les choix des terroristes (à partir de tel pays et contre telle ou telle cible) viennent ainsi compléter les analyses économiques des conditions générales qui font de notre époque une période d’intensification des activités terroristes de toutes sortes (Voir sur ce point mon article « Fractionnalisation et terrorismes : la perspective organisationnelle » dans le n°1, juillet-septembre 2007, des Cahiers de la Sécurité, qui figure également sur mon site http://www.jjrosa.com/).

Ce petit livre, qui se lit très aisément, se structure ainsi en trois chapitres qui sont respectivement consacrés aux caractéristiques des terroristes, aux pays d’origine et aux pays cibles, et enfin à l’évaluation des conséquences. L’auteur définit le terrorisme comme une tactique d’action violente faisant partie d’une catégorie de criminalité qui englobe également les crimes « de haine » (contre des groupes ou individus singularisés par leur religion, leur race, ou leur ethnie) qu’il a préalablement étudiés en profondeur. Il montre par exemple que ces derniers, dans l’Allemagne contemporaine, ne sont pas particulièrement liés au niveau du chômage ou de la pauvreté. De même les terroristes du Moyen-Orient, par exemple ceux du Hezbollah qui ont été abattus au Liban, ne viennent d’un milieu social défavorisé que pour un peu plus d’un quart d’entre eux, proportion notablement inférieure à celle touchée par la pauvreté dans l’ensemble de la population libanaise. Et si leur âge est plus souvent compris entre 18 et 25 ans ils bénéficient d’une formation primaire, secondaire et supérieure qui est équivalente à, et parfois plus élevée que, celle de la population dans son ensemble. Dans une analyse économétrique plus sophistiquée il apparaît que l’école secondaire joue un rôle positif sur l’enrôlement dans le Hezbollah tandis que la pauvreté réduit au contraire la probabilité d’une telle participation. Confirmée par d’autres études du même genre portant sur d’autres organisations et d’autres pays, cette analyse aboutit à la conclusion que les adhérents à des organisations terroristes appartiennent plutôt à des catégories aisées et bien éduquées de la population. Les individus moins favorisés sont davantage concernés par leurs propres problèmes matériels immédiats plutôt que par des considérations idéologiques et politiques, et d’autre part, les organisations terroristes préfèrent recruter les individus les plus compétents. Ce n’est pas la pauvreté qui cause le terrorisme.

Bien que les données sur la répartition géographique du terrorisme soient globalement insuffisantes, il apparaît que la plupart du temps (dans 88% des cas) les actes terroristes interviennent dans le pays d’origine des agresseurs. Le terrorisme « international » est, en réalité, essentiellement local. Le cas du 11 septembre est donc tout à fait atypique. Et bien que dans 62 % des agressions les religions des agresseurs et celles des victimes soient différentes, la probabilité que deux personnes tirées au hasard dans le monde soient de deux religions différentes est de 77%, ce qui signifie que les actes terroristes ne sont pas particulièrement polarisés par des considérations religieuses.

Une analyse des pays d’origine et de destination montre que les principaux pays d’origine des terroristes se distinguent par l’importance de leur population, la faiblesse des droits politiques, et le peu de distance par rapport aux pays cibles. Pour ces derniers les caractéristiques les plus déterminantes sont le niveau de revenu par tête et des libertés civiles, ainsi que le volume de leur population, leur statut d’occupant d’un autre pays, tandis que la distance par rapport aux pays d’origine réduit pour eux la probabilité de devenir une cible.
Cependant, la relative rareté des données devrait inciter les responsables de la lutte anti-terroriste à concentrer leurs efforts sur la connaissance statistique du phénomène s’ils veulent améliorer l’efficacité de leurs actions.

S’agissant enfin des effets du terrorisme, l’auteur conclut plutôt à la faiblesse des conséquences économiques, de façon moins certaine à des effets psychologiques réels, tenant peut-être principalement à l’incompréhension du phénomène qui est source de crainte diffuse, et à des effets politiques assez bien documentés en termes électoraux (comme l’illustre par exemple le cas en Espagne du Parti Populaire après les attentats de 2004), ce qui n’est pas très étonnant si l’on considère que le terrorisme est une criminalité à but affiché principalement politique.

Le lecteur de cet intéressant ouvrage finira probablement sa lecture en ayant sensiblement changé sa perception du phénomène étudié, ce qui, somme toute, n’est pas si fréquent et ouvre certainement la voie à une meilleure définition des politiques publiques.

Alan B. Krueger.
What Makes a Terrorist. Economics and the Roots of Terrorism.
Princeton University Press, 2007. 180 p.

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